Vendredi, Mars 29, 2024
   
Taille

Recherche

J'vous l'avais bien dit !

 

"Même Félix, mon chat, est un chat européen... alors qu'on m'dise pas que je suis contre l'Europe, au contraire !

C'était pas la peine de sortir de Saint-Cyr pour se douter de ce qui allait arriver. Vingt-sept, une Europe à vingt-sept avant même que tout le monde paie les mêmes impôts, les mêmes charges et prenne les mêmes décisions, en même temps, on a mis la charrue avant les bœufs.

Pour se marier, et là, le divorce il a pas l'air prévu, faut tout de même se connaître un peu, surtout si on met ses économies en commun. Faudrait pas, non plus, qu'y en ait un qui fasse la grasse'mat pendant que l'autre se tape tout le boulot, sinon, c'est comme faire du tandem quand y a que celui de devant qui pédale.

 

C'est comme l'histoire du plombier Polonais, hein ! Y a quelques années, j'avais une grosse fuite d'eau dans ma cuisine, alors je fais venir, comme d'habitude, Pierrot, mon plombier. S'contente de regarder et m'annonce un prix pas possible, et pas avant quinze jours.

J'en trouve un autre, un Polonais, qui pouvait faire la réparation le lendemain matin et pour un prix pas comparable, même avec une facture. J'ai pas hésité, vous auriez fait comme moi, mais quand Pierrot est revenu, dix jours après, j'lui ai dit que c'était trop tard et que c'était trop cher. Alors il m'a expliqué qu'il y était pour rien, que c'était à cause des charges, des taxes, de la sécu. Il avait sûrement raison, mais, moi, de mon côté, j'avais plus besoin d'éponger ma cuisine trois fois par jour, j'avais pas payé trop cher et j'avais fait travailler quelqu'un qui, lui, avait l'air content. Alors, hein, que veut le peuple ? Tout le monde était gagnant, enfin, sauf Pierrot.

Pourtant moi, je l'aime bien Pierrot, on s'connait depuis dix ans, mais alors qu'il se débrouille pour payer moins de charges ou, alors, qu'il s'installe en Pologne et là je l'ferai venir pour mes réparations.

C'est, aussi, comme mon copain Albert, syndicaliste comme pas deux, j'l'ai toujours connu. Chaque fois qu'y vient boire son apéro, faut d'abord qu'il pose toutes ses banderoles. Entre nous, vu tout ce qu'y transporte pour chaque manif et chaque A.G., j'en suis à m'demander quand c'est qu'il a le temps de travailler, mais là je l'comprends quand il parle de pénibilité. Paraît que dans les réunions, y en a qui l'appellent "Staline" à cause de la moustache, mais c'est affectueux. Par contre, pour d'autres, c'est "langue fourchue", enfin ça c'est rapport à la fois où, pour plaisanter, il a mis son couteau entre les dents mais comme c'était pas le bon côté, il s'est coupé la langue. En tous cas, c'est ce qu'on raconte.

Albert, il m'explique toujours pourquoi il faut lutter contre les patrons, les obliger à augmenter les salaires. C'est vrai, dit comme ça, il a raison. Mais, si les salaires augmentent trop, j'ai plus les moyens d'acheter ce qu'ils fabriquent dans l'usine d'Albert et, si j'achète plus, les ouvriers deviennent chômeurs et à ce moment là, eux aussi, ils peuvent plus rien acheter. Enfin, rien sauf ce qui est fabriqué à l'autre bout de l'Europe.

Quand je dis ça à Albert, il m'répond toujours que j'ai rien compris, qu'il faut faire payer les riches, prendre l'argent là où y en a ! C'est bien beau, mais les riches, eux, ils achètent pas une voiture construite en Roumanie, ils en ont pas besoin alors que nous finalement, on est bien content de pouvoir le faire et l'ouvrier Roumain, lui aussi il est content, parce que, du coup, il est pas au chômage.

Albert, il est bien mignon quand il dit qu'il faut interdire les délocalisations comme il dit, mais il va finir par m'empêcher d'acheter là où c'est le moins cher et ça, c'est pas juste. En plus, faudrait pas qu'un jour, les ouvriers d'Albert s'rendent compte qu'à force de les faire trop tirer sur la corde, c'est à cause de lui qu'ils sont chômeurs. Quand je lui dis ça et qu'il faudrait qu'en Europe, on ait tous les mêmes salaires, les mêmes impôts, les mêmes charges, la même durée du travail et la retraite au même âge, Albert, il finit son verre sans rien dire, il se lève et il s'en va.

Une seule fois, mais c'est vrai qu'il avait l'air très déprimé, il est revenu et s'est assis, lentement, tristement, en me disant que tout ça, il le savait déjà, qu'il était pas idiot mais que le pire, c'est qu'en réalité, si on voulait vraiment pas perdre d'emplois, fallait qu'on soit compétitifs et que, pour ça, les salaires devaient baisser ici et augmenter beaucoup ailleurs. Mais, qu'il pouvait pas le dire parce que, s'il le disait, ses adhérents allaient le rouler dans le goudron et dans les plumes.

Alors, sur le ton de la confidence, il m'a dit... "ma pauvre Ginette, je suis devenu le pape d'une religion à laquelle je ne crois plus". Ce soir là, on s'est resservi un verre, et c'est vrai qu'il semblait en avoir besoin !

Connexion