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Le Politiquement correct.

"Mieux vaut avoir tort avec Sartre, que raison avec Aron"...

Cette extraordinaire sentence soixante-huitarde, quelques années seulement avant que le "politically correct" n'entre en usage aux États-Unis, montrait déjà que l'appartenance à un courant de pensée l'emportait sur la Justesse de cette même pensée.

Une fois n'est pas coutume, nous avions devancé nos amis Américains, mais il faut bien reconnaître que nous étions aussi quelque peu contaminés par la Révolution culturelle Chinoise, et qu'un bagage linguistique comparable servait à y définir l'étalon officiel du "bien pensé et du justement dit", selon le catéchisme de Mao et sous l'œil tout aussi bridé que vigilant des tristement célèbres Gardes Rouges.

En ce qui concerne la France, et à l'image de la "langue de bois", le concept du "politiquement correct" est un pur produit d'importation mais, cette fois, il ne nous vient pas des pays de l'est mais d'outre atlantique. La règle d'or de cette façon d'exprimer sa pensée est fort simple, pour ne pas dire élémentaire, elle consiste à ne rien dire ou à ne rien faire qui, d'une manière ou d'une autre, pourrait offenser la conscience d'une quelconque "communauté". Mieux que de tourner sept fois la langue dans sa bouche, l'idéal, dans le doute et par précaution, consiste à s'en tenir aux euphémismes, litotes, circonlocutions.

Inutile d'insister sur les clichés en tous genres qui ont fait les délices des humoristes ou de ceux qui, esprits forts ou rebelles, gardaient un minimum d'humour : balayeur élevé au rang de "technicien de surface"... aveugle et sourd rebaptisés, respectivement, "malvoyant" et "malentendant"... handicapé se muant en "personne à mobilité réduite"... décroissance se prononçant "croissance négative"... un arrêt de travail devenant un "mouvement social" jusqu'aux plus modestes étages de la pyramide des compétences qui se voient rebaptisés afin d'épargner les amours-propres.

Cette "bienséance linguistique", non écrite et à géométrie variable, s'est très insidieusement transformée en une contrainte de "non-expression" généralisée, assise sur un conformisme verbal aseptisé. Si, en acceptant cette "muselière", le statut de "bien pensant" vous est acquis, le prix a en payer sera celui de renoncer, par avance, à la plus infime velléité d'analyse personnelle, originale ou hors des sentiers [re]battus.

Inutile d'avoir des règles sans pouvoir les faire respecter, aussi s'est-il très vite instauré le règne de la plus grande "vigilance" qui n'est pas sans rappeler les heures les plus sombres de la "Sainte Inquisition" avec un bon nombre de Torquemada journalistes, enseignants, universitaires, politiques, associatifs, syndicalistes ou judiciaires, tous prompts à mettre à l'Index quiconque transgresserait l'Interdit et, pire, irait jusqu'à se conduire en relapse. Certes, les bûchers ne sont plus d'actualité mais le lynchage médiatique, lui, en tient lieu.

Je ne saurai trop conseiller le livre de Vladimir Volkoff dont la lecture est aussi édifiante que réjouissante. Dès la page 11, en effet, le décors est planté avec un "politiquement correct [qui] ne peut guère se définir", page 76, "le politiquement correct n'excluant personne, exclut toutes les exclusions" ce qui ne peut que rappeler la célèbrissime "interdiction d'interdire" puis, en page 165, il persiste et signe en affirmant que "avant tout, il faut mettre en lumière l'absence de contenu véritable du politiquement correct", qu'il va jusqu'à qualifier, peu après, "d'ectoplasme idéologique" et, deux pages plus loin, de "Meccano des idées toutes faites" qui pratique "le rejet forcené de tout esprit critique".

Vladimir Volkoff, à l'occasion d'une conférence donnée en hiver 2001 par le Directeur de l'Espace-éthique (sic) de l'Assistance Publique, y puisera la confirmation à l'une de ses critiques. En effet, la "morale", condition de la vie, et les "devoirs" qu'elle sous-entend, cèdent la place à une "éthique" abstraite logée dans un "espace" qui s'ouvre sur les Droits de l'homme, clé de voûte du  politiquement correct et se referme sans, que le chapitre des Devoirs ne soit même abordé.

Vous avez dit "pensée unique" ? Nous y sommes de plein pied, car il apparaît comme évident que le "politiquement correct" favorise et entretient "l'entropie du système", joue un rôle majeur dans la "manipulation désinformante" de l'opinion et la tendance fâcheuse au "nivellement absolu".

Les mots porte-manteau.

"J'en ai marre... marabout... bout de ficelle... selle de cheval..."

Cette célèbre comptine enfantine est un exemple de ce que l'on appelle les "mots porte-manteau". En France, et dans sa déclinaison antiraciste, le politiquement correct permet de passer, par on ne sait trop quel enchaînement de mots, d'un " ...trop d'immigrés... " à un présupposé propos à connotation "raciale... donc raciste... donc sanctionnable".

Il faut bien reconnaitre qu'à la longue, le simple mot "immigré" a vu son sens étymologique se réduire au point de ne devenir que le synonyme indifférent de Maghrébin ou de Noir.

Le procès d'extrapolation.

"J'ai tout, sur moi, pour commettre un attentat à la pudeur ! Ce n'est pas pour autant que je passe  l'acte."

Et pourtant, plus fort encore que celui d'intention, le politiquement correct autorise le "procès d'extrapolation" fondé sur une présomption, désormais licite et banalisée, de culpabilité en lieu et place de celle d'innocence. Cette frénésie procédurière et militante finit par s'étendre à l'infini au point de confiner à l'absurde en voulant aider chacun à préserver ses droits, même ceux auxquels il n'aurait pas pensé, face à un adversaire par avance coupable.

La rétroactivité.

Avec l'aimable autorisation de l'auteur

Le 8 août 2007, une plainte a été déposée contre la société Moulinsart S.A., gérante des droits du dessinateur Hergé pour infraction à législation sur le racisme.

Le plaignant, un Congolais résidant en Belgique, demande "le retrait de la vente ou, à défaut, l'ajout d'un avertissement" sur l'album "Tintin au Congo", pourtant écrit en 1930 et 1931, qu'il juge "raciste à l'égard des Africains".

Les bonnes idées étant toujours dans l'air partout et en même temps, le C.R.A.N., Conseil Représentatif des Associations Noires, dont le Président, Patrick Lozès, compte se présenter à l'élection Présidentielle de 2012, n'excluait pas d'intenter semblable action en France.

Faire interdire un livre 79 ans après sa parution, au nom de règles et de lois qui n'existaient pas à ce moment, relève, me semble-t-il, d'une rétroactivité pour le moins surprenante.

Faire figurer une forme de "mention sanitaire intellectuelle" en couverture ou première page ou bien cantonner sa mise en vente dans les seuls  rayons de littérature pour adultes, adultes qui s'empresseront évidemment de l'offrir à leurs enfants, nous mène en pleine "prohibition symbolique et inutile".

A quand une démarche équivalente contre "Tintin au Pays des Soviets", pour anticommunisme primaire, ou contre "Coke en stock" pour une image de l'installation de la famille d'Abdallah dans le grand salon du château de Moulinsart où elle y plante sa tente après avoir repoussé tous les meubles et roulé les tapis, sans négliger quelques uns des dessins animés de "Tex Avery" ni laisser de côté, bien sûr, "Pim Pam Poum" ou "Bibi Fricotin" qui, dans leurs genres respectifs, peuvent prêter à interrogation ?

Et, dans la même optique, quel pourrait être le sort des multiples représentations d'un homme, en général clair de peau, en train de bouillir dans une marmite ou de l'image du Peuple Noir que peut véhiculer une Joséphine Baker roulant des yeux en dansant et uniquement vêtue d'une ceinture de bananes ? Il me faut poser ces questions à mon avocat ainsi que celle, d'ailleurs, du délais de prescription frappant les actes de cannibalisme, ne serait-ce que pour équilibrer les griefs.

De Donald Rumsfeld... à Nicolas Sarkozy.

Si le politiquement correct fut l'apanage de nos amis Américains, il semblerait que la tragédie du 11 septembre 2001 et ses répercussions dans les divers domaines clés de la vie du pays y ait mis un terme. Tirée de sa torpeur lénifiée par la brutalité des faits, l'opinion publique a retrouvé un besoin inédit autant qu'impérieux de vérité dans les actes et dans les paroles dont le révélateur fut le succès, auprès des téléspectateurs, des manières directes, et pour le moins inhabituelles, du Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld.

"Qui eût pensé ( ... ) que son franc parler, son vocabulaire fleuri, à mille lieues du politiquement correct, des prudences et des euphémismes diplomatiques enchanteraient le public, nullement offusqué ( ou secrètement ravi ) de son peu de révérence à l'égard des médias ? ( ... ) Sa réputation de dire à tous, y compris au président, ce qu'il veut ou pense, détonne dans un aréopage marqué par la prudence et la langue de bois" fut le commentaire de l'envoyé spécial du Monde à Washington opposant le "parler vrai" de Donald Rumsfeld, d'abord au "politiquement correct" puis, pour finir, à la "langue de bois".

Au pays d'un politiquement correct encore vivace, la "spontanéité verbale" et le "parler vrai" de Nicolas Sarkozy pourraient fort bien expliquer pourquoi nous sommes loin du consensus en ce qui le concerne. D'un côté, certains l'adorent, de l'autre, et il suffit de fureter sur les blogs, nous en sommes au rejet viscéral, irrationnel et, parfois, injurieux car, n'étant pas de Gauche, il s'extrait d'office des règles de "bonne conduite" édictées par elle et par l'ensemble de ses "gardiens du Temple".

La Crise, la nôtre, en n'ayant pas eu la violence de l'attentat du 11 septembre, ne nous a sans doute pas encore permis de tourner la page d'un "politiquement correct" qui convient tant à certains.

Le Politiquement Correct ou "la dictature de la paranoïa".

Une vieille histoire Juive me semble convenir, à merveille, pour conclure cet article et, surtout, quelle parabole.

Dans un autobus, un passager se gratte. Brun, les cheveux ondulés, une kippa sur la tête, il ne peut renier ni ses origines ni sa pratique religieuse. Et là, devant des passagers de plus en plus gênés, il se gratte, de plus en plus fort, ouvertement, presque avec délectation. Au bout d'un moment, il déboutonne sa veste, puis sa chemise, plonge une main dans l'encolure et, de plus en plus profondément, il se gratte. Soudainement, il se fige, se crispe, extrait la main de sa chemise et, devant les voyageurs, entre pouce et index il écrase rageusement ce que personne d'autre n'a pu voir et prononce, d'une voix sourde, "encore une puce antisémite".

Qu'une telle paranoïa, qui n'est pas sans rappeler nombre d'affaires actuelles, retrouve la direction qu'elle n'aurait jamais dû quitter, celle de la salle d'attente du psy et non celle de l'avocat.

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