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La Langue de bois.

"La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée".

Cette phrase du célèbre roman de Stendhal, le "Rouge et le Noir", pourrait constituer la véritable clef de la "Langue de bois".

L'Homme, dès lors qu'il ne se sent plus libre de s'exprimer, que ce soit dans une dictature ou en raison de l'enjeu d'une allocution publique ou d'un discours électoral, n'utilisera plus la langue comme un miroir mais, au contraire, se retranchera derrière elle comme derrière un masque. Le langage exprimé ne deviendra qu'un leurre ou, poussé à son paroxysme, un vulgaire attrape-gogos, un discours de bonimenteur.

Ce sont les Russes, pas encore Soviétiques donc bien avant "Le Bébête Show" et les "Guignols de l'Info", qui vont utiliser la locution de "langue de chêne" pour ironiser et se moquer du style administratif pesant qu'affectionnait déjà la bureaucratie tsariste.

"La langue de bois a été l'Espéranto des pays du bloc Communistes et, maintenant, de ceux qui en gardent une certaine nostalgie."Après la Révolution Bolchevique, le "chêne" se mue en simple ... "bois", plus prolétaire sans aucun doute, et la langue, devenue de cette essence générique servira, tout naturellement, à définir les modes d'expression, écrits et parlés, stéréotypés, figés et codifiés qui se pratiquent aux multiples niveaux de l'appareil Administratif, Politique, Judiciaire et, bien sûr, Médiatique de l'Union Soviétique. On peut estimer que l'ensemble des pays du bloc communiste subira cette contagion, le terreau paraissant favorable voire nécessaire. La Pologne n'y échappera pas puisque les dirigeants de Solidarnosc iront jusqu'à organiser, en 1978 à Varsovie puis en 1981 à Cracovie, des séminaires sur le thème de la langue de bois et ses diverses déclinaisons.

Assez comparable, dans sa déclinaison initiale, à un jeu de "ni-oui-ni-non" permettant de délivrer sous une forme codée, dans une phraséologie stéréotypée et dogmatique, à l'aide d'euphémismes, de lieux communs, de termes généraux ou abstraits, un message technocratique ou idéologique qui ne sera pas opposable à ses auteurs, mais qui cependant ne sera compris dans son vrai sens que par un petit nombre d'initiés. Peut-être faut-il y voir, aussi, une technique éprouvée et rassurante de passer d'une question à sa réponse sans courir le risque de s'aventurer hors d'un parcours balisé, un peu comme si les mots choisis et employés constituaient des pierres permettant de traverser un gué.

Je n'en veux pour exemple que cette authentique tirade, digne de recevoir la palme de la langue de bois, proférée avec le plus grand sérieux par un Substitut du Procureur de la République, en commentaire à l'un de ces malheureux accidents de la route au sortir d'une soirée en boîte de nuit : "Il apparaitrait que l'individu qui se trouvait au volant n'avait pas satisfait aux épreuves théoriques et pratiques de l'examen rendant celui-ci administrativement apte à la conduite d'un véhicule automobile"... Bref et autrement dit, il roulait sans permis !

Si ce "langage" est inconnu en Allemagne et dans les pays Anglo-saxons, c'est loin d'être le cas en France où il commence à apparaitre au début des années 70, discrètement, insidieusement mais toujours pour y laisser transparaître une connotation politique, démarche qui ne peut pas ne pas rappeler celle du célèbre "novlangue" de George Orwell qui lui, prenant le "problème" dans l'autre sens et allant bien au-delà de la simple préconisation de mots consensuels, supprime carrément tous les autres.

Le "novlangue", censé supplanter l'ancilangue, la langue ordinaire, vers l'année 2050, est la transposition imaginaire et romanesque de notre fameuse langue de bois avec, pour objectif revendiqué, celui d'élaborer une structure linguistique capable d'anéantir l'expression de la pensée individuelle et de procurer au Parti, unique maître des destinées du pays, l'instrument de propagande le plus perfectionné qui soit, le plus économe possible de ses moyens : "... Nous détruisons chaque jour des mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu'à l'os ...".

"La plus perverse des censures, celle qui n'interdit pas la pensée, mais éradique les mots qui en permettent l'expression."Orwell accorde, d'ailleurs, au Novlangue suffisamment de valeur emblématique pour lui consacrer, en Appendice, tout un chapitre de description organisé comme un manuel de grammaire et son "dictionnaire mis à jour sans relâche" qui, dans le roman, en est déjà à sa onzième édition et constitue la plus perverse des censures, celle qui n'interdit pas la pensée, mais éradique les mots qui en permettent l'expression.

Le novlangue
est, non seulement déjà la langue officielle d'un bon tiers de l'humanité, mais il contamine progressivement le reste du monde à travers un "Politiquement Correct" dont il est la métastase.

Appauvrissement naturel de la langue ou volonté délibérée de certains d'obtenir une forme de "stérilisation militante" de celle-ci, même si j'en ai une vague petite idée, seule la lecture du dictionnaire de "novlangue" permettra au lecteur de se forger sa propre conviction.

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